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Qu’est-ce que la Danse Libre d’après Malkovsky ?

Sur la technique
du mouvement

Les étoiles, les plantes, les eaux, l’air, l’oiseau, le poisson, le ver de terre, le chien, le singe, les éléments comme les animaux et comme les choses, font partie de l’univers pour y accomplir une certaine fonction. Plus ils deviennent aptes à la remplir, plus ils évoluent vers leurs perfections respectives. Plus un lévrier est agile, plus il est lévrier…pour qu’un lévrier soit un bon lévrier, il faut qu’il puisse courir, et bien courir, il lui faut esprit et membres spéciaux qui se développent par ses mouvements mêmes, lesquels lui sont propres ; plus ils sont économiques, plus ils sont simples ; plus ils ont d’élégance, plus il a de capacités de lévrier et meilleur il devient. …Egalement pour les arbres qui deviennent arbres grâce à leurs mouvements intérieurs (mouvements de la matière) et extérieurs, par lesquels ils résistent aux vents, qui cependant sont nécessaires à leur formation. Ainsi en est-il avec les animaux et l’homme. Plus l’homme devient capable de remplir sa mission plus il se rapproche de l’homme idéal.

Les mouvements de l’univers (des mondes comme des atomes) suivent certaines lois : l’homme aussi a des mouvements dont il a tout intérêt à suivre l’exactitude pour son équilibre physique et moral…Le mouvement humain existe depuis toujours. Comparez certains mouvements d’un ouvrier très habile avec ceux des figurines archaïques, vous trouverez une parenté indiscutable. Voici un montagnard qui fait des mouvements ressemblant à ceux d’une fresque d’un vase grec. Cet ouvrier et ce montagnard ont trouvé leurs mouvements harmonieux en en cherchant l’économie.

Il y a une base exacte dans les bons mouvements humains, une parenté très proche de celle des autres animaux. Plus je sens ma démarche économique, plus j’y discerne le mouvement des quadrupèdes, mes mains marquant le rythme de leurs pattes de devant. Chaque bon mouvement a son rythme extérieur et intérieur exact et rappelle le plus souvent celui du balancier, ce qui est compréhensible si nous voulons vraiment exploiter la pesanteur du corps pour économiser l’énergie. Nous discernons nettement ce mouvement du balancier combiné avec celui de la roue dans le mouvement du tigre, du chat, de la buse qui vole. Il n’y a absolument rien de commun avec le pseudo-rythme des pas cadencés par lesquels on prétend enseigner le rythme.

En cherchant l’économie du mouvement, nous nous apercevons que le bon mouvement est toujours continu, que les impulsions énergiques sont suivies ou précédées de mouvements où les muscles sont relâchés.

La souplesse dépend de l’économie, de la logique, de la musicalité du mouvement.
La gaucherie n’est qu’une cacophonie, une maladie qui se guérit parfaitement.
L’élégance est la plus haute simplicité ; elle peut s’apprendre.
En jouant, en marchant, en dansant, l’être entier doit pouvoir vibrer. Pour s’exprimer librement, le corps doit pouvoir onduler musicalement. Pour que le plus simple des gestes puisse porter, transmettre une pensée, éveiller pleinement dans les sensibilités des spectateurs tel état d’âme, il doit se libérer des « attaches » qui paralysent ou diminuent les moyens d’expression.

L’être humain doit devenir une sorte de centre d’où jaillit la lumière. Ainsi que les silences font partie de la phrase musicale, ainsi que l’air est nécessaire à la transmission des sons, l’espace lui-même doit se transformer en éléments faisant partie de la danse par le mouvement qui doit éveiller des ondes réelles, tout comme la voix éveille les ondes sonores ; l’espace amplifiant ainsi le plus merveilleux et le plus subtil des langages humains. Ceux qui dégagent cette force, cette électricité communicative peuvent seuls dominer la scène.

Il y a une parenté extraordinaire entre cette technique du mouvement et la technique vocale, qui n’est qu’un autre moyen de s’exprimer. Nous savons que la voix humaine doit également suivre certaines lois pour porter, c’est-à-dire pour vibrer de façon normale (nous connaissons les photographies des vibrations bonnes et des vibrations défectueuses) pour qu’elle retrouve toute son ampleur, toute sa beauté et sa couleur personnelle.

« Que bien insensé est l’homme qui pleure la perte de la vie et qui ne pleure pas la perte de la jeunesse » dit ce poète grec ; en vérité conserver notre jeunesse même ne dépend que de nous-mêmes : tant que nos mouvements restent jeunes, nos vies gardent le rythme de la jeunesse.

En travaillant la technique et la plastique mieux vaut encore la qualité des études que la quantité. Certes, rien ne sert, en effet, de passer de longues heures à faire n’importe quel exercice et n’importe comment, machinalement. Cela enlève plutôt de la sensibilité, durcit les mouvements et rend nerveux.

Pas d’uniformité dans les études : s’il y a une méthode, il y a des êtres humains d’abord, ensuite des méthodes. La personnalité de chacun doit être une chose sacrée, car il en peut jaillir une étincelle, l’esprit de création qui peut évoluer, qui fera un jour mieux que nous, qui ira plus haut, plus loin. Si un exercice, une méthode, sont susceptibles d’anéantir une personnalité, ils ne peuvent qu’être erronés, car ils produisent des automates sans vie et sans rayonnement. Ce n’est qu’en cherchant l’exactitude qu’on trouve le rythme de la vie contenu dans les mouvements humains, la grâce et l’harmonie.

C’est sur ces principes que je base les mouvements de mes danses et que je cherche à exprimer par mon corps les impressions que je ressens, les émotions que je vis. Ce sont ces principes que j’enseigne à ceux qui cherchent, comme moi, à se perfectionner dans l’art de vivre, dont l’art de la danse représente une partie des plus importantes.

Malkovsky, septembre 1924