La Grande Saga
des Routes de la Soie
Défilé de la Biennale de la Danse de Lyon 2000
C’est Régis Bourquin*,danseur et chorégraphe du groupe La Source qui initie et donne corps au travail fait pendant un an par 150 danseurs et danseuses, musiciens et musiciennes, couturiers et couturières, décorateurs et décoratrices, de divers lieux de la Drôme et de l’Ardèche.
L’atelier de danse et jonglage d’…Et qui danse prépare, avec une dizaine d’entre nous, cette grande et aventureuse rencontre collective. Andrée Edel la chorégraphie, comme le fait Marie-Do Guillemaud pour Accueil et Trait d’Union
*https://www.dansestherapies.eu/
Au Théâtre Le Rhône à Bourg les Valence
02.07.2000
Avant le défilé à Lyon, la générale…
On voit d’abord deux hommes aux longs vêtements noirs renforcés par endroits, comme pour protéger certaines parties du corps. Quand on s’aperçoit que ces hommes ont chacun un gros bâton en bambou plus grand qu’eux, on comprend que ce sont des gardes. Policiers, militaires ou simples gardes du corps, on ne le saura pas et d’ailleurs peu importe. Ils sont faits pour combattre : attaquer, défendre ou protéger. Crâne rasé, des traits durs renforcés par un maquillage qui fait penser à des peintures de guerre. Ils ont un air asiatique sans que l’on puisse dire s’ils sont de l’Asie proche ou extrême. Pour le moment, appuyés sur leur bâton, on ne peut pas dire s’ils se reposent ou se concentrent. Mais personne n’a envie d’aller les provoquer, plutôt passer inaperçu à leurs yeux.
Au-delà de la barrière de leurs corps, on aperçoit un groupe de jeunes femmes auxquelles le vêtement et le maquillage ont aussi voulu donner un air asiatique. Japonais ? Chinois ? Là non plus le spectateur moyen ne peut pas trancher. Mais il sait au moins qu’il s’agit d’Orient extrême. Elles sont six ou huit et derrière elles il y en a une autre, différente, d’une taille presque démesurée. Elle porte une grande robe blanche en tissu léger qui pourrait être de la soie. Elle a un chapeau, blanc aussi, à larges bords qui retombent autour de son visage et cachent son regard quand le vent ne les retrousse pas. Cette femme est grande non pas parce qu’elle est géante, mais parce qu’elle porte des chaussures à semelles très épaisses, probablement signe de son rang ou de sa caste. Tous ces personnages féminins sont aussi immobiles et concentrés. Sans aucun doute, un évènement se prépare.
Pour le moment, ce qui perturbe le spectateur, c’est cette opposition entre l’expression d’une force cultivée -il ne devine pas pour quoi- et la délicatesse, la fragilité, la beauté du groupe des femmes. Là aussi, pour quoi faire ? Que font-ils ensemble ?
Jusqu’à présent, le seul bruit était le brouhaha de la foule. Mais voilà soudain qu’on sent qu’il va se passer quelque chose. Tout se fige, même la foule. Puis, derrière les femmes, un frémissement, une impression de mouvement et, tout de suite, une musique. Quelques mesures et tout se met en mouvement, les gardes, les femmes, et, derrière elles, ce groupe qu’on n’avait pas remarqué jusqu’à présent et qui est la source de la musique. Tout le monde se met en mouvement.
La musique n’est pas une musique pour marcher comme on y est habitué, avec une cadence sur laquelle tout le monde doit s’aligner. Pourtant, tous marchent ensemble. D’ailleurs, ils donnent plutôt l’impression de glisser, presque de voler au très ras du sol, tellement leur pas est léger et leur mouvement harmonieux. On pense à une mouette au ras des flots qui avance presque sans battre des ailes. Les musiciens jouent d’instruments inhabituels dans nos régions : des clochettes, des conques, des gongs et d’autres aux noms inconnus. La musique et la tenue des musiciens font, là aussi, penser à l’Asie.
Depuis qu’ils se sont mis en mouvement, les gardes ont pris un air encore plus dissuasif. Ils manient leur bâton avec dextérité, mais aussi avec agressivité maintenant, se mettent dans des postures d’attaque, miment un combat avec une simultanéité parfaite de mouvements.
Derrière eux, les femmes avancent en glissant sur l’air. C’est tout leur corps qui est le moteur de leur progression. Les gestes de leurs épaules, de leurs bras et de leurs mains font penser qu’elles nagent dans l’air, guidées par la musique. A un moment, on les retrouve entourant la grande dame blanche, faisant une ronde autour d’elle. Elles semblent la porter avec une force induite par leur mouvement.
Le regard revient aux gardes qui viennent de faire claquer leur bâton l’un sur l’autre et de nouveau, on s’interroge sur la raison de leur présence ici. Il y a d’un côté la beauté, la douceur, l’harmonie dans les mouvements, l’amitié peut-être et de l’autre ces hommes à l’apparence brute. Si ce spectacle est offert par ceux qui le font, pourquoi se protègeraient-ils ? Est-il commandité par un personnage important qui en attend quelque profit, politique ou autre qu’il ne souhaite voir détruire ou voler? Mais par qui ? C’est peut-être dans cette direction qu’il faut chercher le sens de la présence des hommes en noir ….
Mais cela ne doit pas nous faire oublier le reste.
Georges E. spectateur